C’est la troisième fois qu’elle traverse la France. De Grenoble à Aix-les-Bains, en passant par Strasbourg, Colmar, Dijon ou encore Troyes, la Caravane de l’exil a posé ses bagages en Savoie début juillet, quelques jours après son démarrage. Ce lundi, direction Chambéry pour faire germer des idées, émerger des paroles et réfléchir, à l’ombre des traboules, au sujet de la migration.

“L’été s’ra chaud, l’été s’ra chaud”, chantait Eric Charden en 1979. Plus de 40 ans plus tard, à Chambéry, ce refrain sonne plus vrai que jamais. Quelque 38 degrés sont annoncés pour la journée, en centre-ville. En cercle, place de Genève, Agathe Landel, chargée du dispositif, prend la parole pour briefer les troupes, sans oublier les mots clefs suivants : de l’eau, de l’ombre et de la crème solaire. Car non, la Caravane de l’exil ne rimera pas avec insolation collective.

Mais avec quoi rimera-t-elle alors ? Le concept reste le même que les deux éditions précédentes : “L'objectif premier, c'est d'ouvrir le dialogue sur la migration avec le grand public, parce qu'on pense qu’aujourd’hui ce n’est pas fait et que c'est un tabou”, explique Agathe Landel. L’absence de dialogue réel sur ce sujet renforce de fait les préjugés que la Caravane entend bien aider à déconstruire. Déconstruire, oui, mais comment ? De façon ludique d’abord, avec un panel d'activités, de jeux et de questions ouvertes. Le tout animé par une équipe de volontaires, tous guidés par nos principes d’humanité, de neutralité et d’impartialité. 

Voilà à peu de choses près les règles de la Caravane - sans oublier la bonne humeur et la pédagogie qui règnent naturellement dans le groupe de bénévoles et de salariés présents ce jour-là dans la capitale savoyarde. 

L’accueil du public au rendez-vous

Si le bon esprit s’est spontanément emparé de l’assemblée, la crainte d’un accueil mitigé de la Caravane était bien réelle. Mais, malgré la conjoncture actuelle et les fractures idéologiques grandissantes, l'œil du grand public a su rester curieux et le dialogue a pu être possible. "Je suis étonnée dans le bon sens par l'accueil, j'étais un peu inquiète avant de partir, confie Agathe Landel. Il y a de grosses scissions dans notre société, j'avais peur qu'on ne puisse pas les dépasser et qu'un dispositif comme le nôtre ne réussisse pas à ouvrir ce dialogue.” Trois jours après avoir commencé la saison, l’inquiétude a laissé place à un premier constat positif : “Les gens sont intéressés, notre approche donne envie aux personnes d'en savoir plus !”, s’enthousiasme la chargée de projet. Emilie Rammaert, administratrice de la Croix-Rouge, observe de son côté le fort impact de la Caravane de l’exil auprès des gens rencontrés - rien que ce lundi (plutôt calme à Chambéry), presque 300 sensibilisations ont été recensées en fin de journée. 

L'activité "porteur de parole", consistant à ouvrir le dialogue avec des passants sur le thème du vivre-ensemble, y est aujourd’hui pour beaucoup. De grands panneaux aux écritures colorées ont jailli aux quatre coins du centre-ville, interpellant les badauds. “Qu’est-ce qui fait que l’on se sent intégré ?” ou encore “Vivre-ensemble, on fait comment ?” peut-on lire. A la seconde interrogation, Maud, 18 ans, répond naturellement "en respectant les autres". Comme elle, la jeunesse s’intéresse volontiers à la Caravane de l’exil. Et pour cause : les activités ludiques proposées font mouche, entre cocottes en papier, roue des questions et autres jeux de société grandeur nature. 

Cahier de vacances 

L’enfance est, de fait, un terrain fertile, propice à l’apprentissage. C’est ici l’occasion de proposer des bases de réflexion (“qu’est-ce que la migration”, “c’est quoi un réfugié ?”) et les bonnes définitions associées. "Les préjugés passent aussi par ce qu'on a appris quand on était petit, ce qu’on va répéter, la sensibilisation permet alors d'avoir une base de connaissances”, analyse Agathe Landel. Grâce aux questions et mises en situation, les enfants comprennent des situations liées à l’exil, entrent en empathie, réfléchissent : “Sans dramatiser, on dit que oui, un parcours d'exil, c'est difficile et qu’il y a des enfants qui le font tout seuls”, explique la salariée. “Les enfants peuvent prendre conscience de certaines choses à travers le jeu”, abonde Emilie Rammaert. C’est ainsi que, sous le regard bienveillant des parents, la pédagogie opère et l’éducation populaire prend vie sur la route des vacances. 

Wyded, 14 ans, en est la preuve. Elle est arrivée curieuse devant nos chapiteaux. “Qu’est-ce que c’est ?”, interroge-t-elle. Ni une, ni deux, Françoise, truculente bénévole tout droit venue de Toulouse, lui explique et propose de faire le tour des activités. Wyded veut tout savoir et surtout jouer à tout. Oui, tout. Du casque de réalité virtuelle aux questions ouvertes sur le vivre-ensemble en passant par le Jenga, la roue de questions… En milieu de parcours, elle est rejointe par sa mère, Fatna, ravie que sa fille s’occupe et s’amuse. La quarantenaire en profite pour se prêter au jeu de la réalité virtuelle. Du centre-ville de Chambéry, elle est propulsée en Ukraine, au beau milieu d’un paysage désolé, casque sur les yeux. L’expérience l’impressionne et la fait relativiser sur ses problèmes. Entre la mère et la fille, le sujet de la migration est posé sur la table. Toutes les deux peuvent alors en discuter, “j'aime bien, ça fait réfléchir", conclut Wyded.

Texte : Julia Kadri I Photos : Alexandre Bonnemaison

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