De l’urgence humanitaire à la résilience : nos missions sur le parcours migratoire
Publié le 23 juin 2022
Beaucoup l’ignorent, nos missions auprès des personnes migrantes font partie de notre histoire. Une histoire qui a débuté dès nos origines, sur le champ de bataille de Solférino, puis au gré des conflits, des vagues de décolonisation et autres grandes crises humanitaires. Le conflit ukrainien s’inscrit dans cette histoire et pose une fois encore la question de l’accueil et de l’accompagnement des personnes exilées. Interview de Florent Clouet, responsable du programme national migrants.
Quelles sont nos actions phares en faveur des personnes migrantes sur le territoire français ?
Nos missions se déclinent autour de plusieurs temporalités : la réponse à l’urgence humanitaire, le premier accueil et l’hébergement temporaire, le soutien à l’insertion socio-professionnelle, l’accompagnement à la résilience et la déconstruction des préjugés.
Dans un contexte d’aide humanitaire d’urgence, nous déployons des dispositifs itinérants comme le dispositif mobile de soutien aux exilés dans les Hauts-de-France, des actions d’aller-vers dans des bidonvilles ou des squats à Lyon ou à Paris, par exemple. Nous déployons aussi des dispositifs fixes tels que des accueils d’urgence en gares ou dans les aéroports. Ce fut le cas en août 2021, lors de l’afflux de population afghane et au cours de ces derniers mois pour accueillir les personnes ayant fui l’Ukraine.
Nous proposons par ailleurs des activités d’accueil-écoute-orientation, déployées par l’ensemble des unités locales, y compris en dehors des situations d’urgence. En tant qu’opérateur pour les pouvoirs publics, nous gérons également des structures de premier accueil pour les demandeurs d’asile (SPADA) ainsi que des structures d’hébergement et d’accompagnement social (HUDA et CADA).
Vient ensuite le temps de l’insertion sociale et professionnelle proposée dans nos établissements et complétée par des activités bénévoles complémentaires : français langue étrangère (FLE), ateliers de conversation, accompagnement pour le montage de micro-projets via le programme Pai’R, sorties découverte des villes, etc.
Au-delà de l’insertion, nous menons des activités favorisant la résilience des personnes accompagnées pour qu’elles puissent évoluer dans un environnement sécurisant. Cela passe par le rétablissement des liens familiaux - une mission statutaire -, mais aussi des activités de soutien psychologique et psychosocial qui sont transverses à toutes nos missions.
A ces activités classiques s’ajoute un dernier volet : la lutte contre les préjugés à l’égard des personnes migrantes, à la fois chez les citoyens et chez les volontaires. L’objectif étant de favoriser l’hospitalité et l’insertion.
Pourquoi est-ce si important et comment procédons-nous ?
Les situations de discrimination ou les préjugés peuvent limiter la capacité d’insertion dans la société. Nous pensons qu’il faut allier différentes approches pour déconstruire les préjugés des populations hôtes. D’une part, nous proposons une approche fondée sur le rappel des faits, notamment pour informer sur les réalités des migrations, les chiffres et les définitions. D’autre part, nous déployons une approche qui favorise le partage d'empathie à l’égard des personnes migrantes. Nous le faisons au travers des témoignages de personnes exilées, mais aussi par le biais d’animations immersives qui permettent aux participants de se mettre à la place de personnes poussées sur la route migratoire. Toutefois, nous sommes conscients des limites de ces interventions ; nous plantons de petites graines par ces actions, dans l’espoir que certaines prospèrent en fonction des trajectoires de vie…
Quels sont les outils utilisés pour faire de la sensibilisation?
Nous proposons tout d’abord une formation ‘’Sensibilisation migration’’ aux bénévoles ainsi qu’au grand public, bâtie autour d’un rappel des faits en lien avec les problématiques migratoires et d’un serious game qui retrace un parcours migratoire. Nous disposons également de casques de réalité virtuelle. A travers cette expérience immersive appelée « Sense of home », les participants rencontrent des personnes vivant à la frontière syro-libanaise pour comprendre leurs conditions de vie sur un camp humanitaire. Enfin, pour sensibiliser les plus jeunes, nous organisons une animation destinée aux élèves de CE2 jusqu’à la 5ème en utilisant un jeu de société grandeur nature sur l’exil. Cinq équipes incarnent chacune un parcours migratoire. Le jeu est suivi d’échanges très instructifs pour les enfants comme pour nous autour de l’accueil des personnes migrantes.
Comment abordez-vous le grand public sur ces questions parfois délicates ?
Il existe très peu d’espaces de dialogue sur la migration en France. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé ‘’La Caravane de l’exil’’, en juillet dernier. Durant trois semaines, nous sillonnons la France et nous nous installons dans des lieux publics. La Caravane déploie tous les outils de sensibilisation que je viens d’évoquer. Notre objectif est d’instaurer le dialogue avec les citoyens, de recueillir les opinions, quelles qu’elles soient, et de susciter la réflexion sur la thématique migratoire. Nous avons d’abord un rôle d’écoute et nous apportons en retour des éléments de compréhension. L’an dernier, nous avons ainsi recueilli près de 400 témoignages. Cela nous donne une vision assez générale des représentations de la population pour réfléchir à de nouveaux outils à développer.
L’accueil de personnes fuyant le conflit en Ukraine a suscité des commentaires et des interrogations. Que répondez-vous à ceux qui dénoncent des différences de traitement entre les Ukrainiens et les autres migrants ?
L’accueil des personnes venant d’Ukraine s’est dans un premier temps inscrit dans une réponse d’urgence, justifiant un pilotage en mode crise et le déploiement d’une intervention suivant un modèle humanitaire classique. Dans ce cadre, trois facteurs déterminent les contours de notre mission : la nécessité d’une réponse similaire pour toutes les personnes victimes d’une même crise, les capacités opérationnelles à notre disposition (à savoir les moyens humains et les fonds disponibles), la complémentarité de notre intervention avec celle des pouvoirs publics, conformément à notre rôle d’auxiliaire des pouvoirs publics.
C’est ce modèle qui a prévalu aussi en réponse à la crise afghane de l’été 2021 : nous nous sommes mobilisés dans les aéroports et dans nos structures d’hébergement, nous avons procédé à des vaccinations anti-Covid-19, etc. Il s’agissait de prendre en charge là aussi des victimes d’une même crise. La différence, dans l’ampleur de notre intervention, provient à la fois des financements levés et mobilisables mais aussi de la possibilité légale, pour les personnes fuyant l’Ukraine, d’arriver et de séjourner sur le sol européen pendant 90 jours, préalable au déclenchement de la crise.
C’est dans le temps 2 de la post-urgence que nous changeons d’approche et basculons vers des modalités d’intervention classiques. Il s’agit alors de répondre aux besoins des populations concernées dans le cadre de nos actions traditionnelles. Toute la difficulté est de savoir où placer le curseur entre ces deux phases.
Ceci dit, la crise ukrainienne nous invite à réfléchir à de nouvelles actions et à une amplification de nos activités vis-à-vis de toutes les personnes en situation de migration. D’ailleurs, cette volonté est clairement affichée dans notre Plan Migrations 2025 en cours de finalisation.
Voulez-vous dire que cette crise accélère une dynamique déjà engagée ?
Absolument.L’enjeu pour nous est de capitaliser sur ce qui a été mis en place à deux niveaux : au niveau de la Croix-Rouge française et au niveau des politiques publiques. Pour notre part, nous souhaitons identifier des dispositifs (tel que le dispositif “Premier contact” en gare), les outils comme, par exemple, les kits de premier accueil et les activités (telles que l’orientation des victimes de traite des êtres humains) ayant vocation à être pérennisés ou réactivés en cas de crise. De même, certaines approches relativement inédites ont été initiées. Jusqu’à présent, par exemple, peu de nos interventions étaient expressément destinées aux personnes en transit. Nous pensons qu’il serait pertinent de capitaliser sur la mobilisation pour l’Ukraine pour déployer ce type d’approche à destination d’autres publics.
Concernant les politiques publiques, les personnes fuyant l’Ukraine bénéficient de la simplification d’un certain nombre de procédures pour obtenir un titre de séjour et accéder au marché du travail, notamment. Ces aménagements pourraient être généralisés à tous les demandeurs d’asile.
Ces préoccupations sont-elles partagées au sein de notre Mouvement international ?
Au niveau de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), la migration fait partie des cinq défis majeurs identifiés dans la Stratégie 2030. De manière générale, les Sociétés nationales européennes ont pu se mobiliser en réponse à la crise en Ukraine car la dynamique existait déjà. Si les acteurs du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge travaillent depuis de nombreuses années à un niveau stratégique sur ces questions, deux événements fédérateurs ont accéléré les coopérations sur le plan opérationnel au cours de ces derniers mois. Tout d’abord, l’engagement de la FICR à bord de l’Ocean Viking, ce navire à bord duquel des personnels de différentes Croix-Rouge se portent volontaires. Ces interventions répétées ont créé une culture opérationnelle partagée en matière de prise en charge des personnes migrantes. Ensuite, la FICR a créé un « case for support » - l’équivalent, pour des projets de moyen terme, des appels d’urgence destinés à collecter des financements pour faire face à une situation d’urgence - pour mettre en œuvre un programme ambitieux de protection et d’assistance des personnes migrantes. Une cinquantaine de Sociétés nationales proposent des actions tout au long du parcours migratoire. Cet engagement collectif donne une cohérence à des activités existantes et permet de lever des financements durables.
La question migratoire est donc centrale, à la fois au sein de la Croix-Rouge française et à l’échelle de notre Mouvement international. Nous sommes tous conscients que les crises vont se multiplier, que les flux migratoires vont grossir sous l’effet des changements climatiques et des conflits dans le monde. Nous devons ensemble nous y préparer, anticiper des réponses et des solutions pour mieux accompagner ces tragédies liées à l’exil.