C’est un drame familial comme en connaissent malheureusement des millions de personnes en exil. L’histoire d’une famille qui a dû fuir son pays, l’Erythrée, et subir la violence du parcours migratoire et le déchirement de la séparation. Abraham* et Asma n’avaient pas revu leur fils depuis respectivement 7 et 2 ans. Le 5 septembre 2023 restera à jamais gravé dans leur mémoire. A l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, dans la chaleur de ce mardi matin, entourés de notre équipe du Rétablissement des liens familiaux (RLF), ils ont enfin pu serrer dans leurs bras Girmay, leur fils de 17 ans et redevenir une famille. Nous avons eu la chance d’assister à ces retrouvailles pleines de joie et d’émotion. On vous raconte tout.

Il est 9h30 ce mardi 5 septembre. Au terminal 1 de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, un petit groupe scrute fiévreusement les arrivées en provenance de Kigali au Rwanda. Abraham et Asma ont revêtu les habits traditionnels de leur pays d’origine, l’Erythrée, qu’ils ont dû fuir en 2016 pour échapper à un gouvernement répressif et à des conditions de vie insupportables. Dans leurs tenues blanches rehaussées de broderies, ces parents rayonnent. Avec une excitation mêlée d’inquiétude, ils attendent Girmay, un de leurs cinq enfants, aujourd’hui âgé de 17 ans. 

Tout à coup, les yeux s'écarquillent, les bras se tendent, la joie éclate. Girmay apparaît, accompagné d’un agent de la police aux frontières. Il court vers ses parents et les enlace, tandis que l’équipe RLF reste en retrait, laissant ces trois-là savourer leurs retrouvailles. Solaire et élégant, le jeune homme couve sa mère du regard, la touche comme pour s’assurer de la réalité de ce qui est en train de se passer. 

“Je suis tellement heureux que mon bonheur est indescriptible, confie-t-il. Merci du fond du cœur de m’avoir permis de retrouver ma famille.”

Un long périple vers la liberté

Car tous reviennent de loin. En 2016, le père quitte le premier l’Erythrée et ses violences. Quelque temps plus tard, Asma et leurs cinq enfants fuient en Ethiopie tandis qu’au terme d’un long périple, Abraham obtient le statut de réfugié en France, en 2019. A partir de cette date, il entame une démarche de réunification familiale et s’emploie à rassembler les pièces nécessaires pour une demande de visas long séjour. Il faudra attendre juillet 2021 pour que cette demande soit déposée auprès de l’ambassade de France d’Addis Abeba (Ethiopie). Mais un drame vient frapper une nouvelle fois la famille : en mars 2022, Girmay est enlevé par plusieurs hommes et emmené de force en Libye où il est séquestré avec une quarantaine d’autres enfants. La famille doit payer une rançon de plusieurs milliers de dollars pour le libérer. 

En parallèle, Asma et les quatre sœurs de Girmay obtiennent leurs visas long séjour. Ils arrivent en France à l’été 2022 tandis que l’adolescent se trouve toujours en Libye.

Une coopération inédite

Là-bas, la situation est au point mort. Impossible de faire rentrer Girmay en France malgré des démarches répétées auprès de l’ambassade de France en Ethiopie et l’ambassade de France à Tunis, compétente pour la Libye. Le principal point de blocage est que l’ambassade de France en Libye n’est pas compétente pour instruire des demandes de visas. Impossible donc, d’évacuer l’adolescent légalement, encore moins de lui obtenir un visa d’entrée pour la Tunisie. 

Le service RLF est finalement saisi du dossier en novembre 2022. S’engage alors une coopération étroite avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) en France et en Libye.  “Ce dossier est assez exceptionnel”, commente Candice Klinger, coordinatrice des réunifications familiales au service RLF. “Il illustre une véritable coordination multi-partenariale. Après de longues négociations, le HCR est parvenu à rapatrier le jeune Girmay de la Libye vers le Rwanda en juin 2023, grâce à un programme de réinstallation. S'en est suivi un travail commun de plaidoyer auprès de l'ambassade de France au Rwanda pour re-délivrer un visa long séjour et permettre au jeune homme de rejoindre sa famille en France.” 

Un travail de l’ombre rendu possible par l’équipe réunifications familiales dont les juristes ont patiemment et obstinément collecté tous les documents nécessaires pour prouver la filiation entre Girmay et ses parents, sésame indispensable pour qu’il puisse rentrer en France sain et sauf. "J'ai recommencé à un peu dormir quand Girmay est arrivé à Kigali” explique Abraham

“Quand il était en Libye, je ne  dormais pas, quand je l'avais au téléphone on entendait la guerre derrière", poursuit-il, ému.

Une famille à reconstruire

A présent, l’équipe RLF escorte le jeune homme et ses parents, tout sourire, jusqu’à la gare de Roissy où les attend un TGV : direction Angers où ils retrouveront le reste de la fratrie. Tandis que la fatigue les gagne après ces moments riches en émotions, ils s’installent gaiement dans le train, l’air joyeux et complice. “Tout l’enjeu maintenant est de refaire famille”, conclut Candice. “Quand on a vécu si longtemps séparément, les rôles ont bougé. Il faut apprendre à se retrouver, parfois à se découvrir autrement”. C’est tout le bonheur qu’on leur souhaite !

*Par souci de confidentialité, les prénoms ont été changés.

Texte : Marine Bouniol ; photos : Guillaume Binet / MYOP

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