Des centres d'hébergement à la rue, SALAM soigne les personnes en exil
Publié le 23 juin 2022
Ils s’appellent Nabil, Walid, Younes. Elle, Yellena. Ce mardi 7 juin, nos volontaires sont allés à leur rencontre, grâce au projet SALAM et sa camionnette médicalisée. Un dispositif qui prend vie après-midi et soir, 7 jours sur 7, ou presque. A bord, médecin, secouriste, traducteur et maraudeur* Croix-Rouge viennent en aide aux personnes en situation d’exil, en dispensant des consultations médicales, en leur expliquant comment mener certaines démarches administratives et en leur proposant, aussi, de joindre leur proche.
Terre d’exil
Il est bientôt 17 heures, lorsque la camionnette démarre, prête à arpenter les rues du nord de la capitale. De Pantin, jusqu’à la Gare de l’Est en passant par le quai de Valmy.
A mesure que l’obscurité s’installe, les injustices sociales se distinguent. Comme si la nuit révélait ceux qui n’étaient pas nés sous ses bonnes étoiles. Le soir, les centres d'hébergement d’urgence se remplissent aux quatre coins de Paris, quand les duvets se déroulent aux abords du canal Saint-Martin, à la Villette et ailleurs. “L’Ile-de-France est particulièrement concernée par l’accueil des exilés puisqu’en 2020, sur les 84 507 personnes ayant déposé une demande d’asile (...), 45,8% l’ont fait en Ile-de-France”, constatait le rapport Les oubliés du droit d'asile*, en 2021.
Depuis 2017, le Défenseur des droits souligne régulièrement le phénomène de “dégradation continue des conditions de vie des exilés en région parisienne”, ajoute l’enquête. Ces dégradations se répercutent inexorablement sur l’accès à la santé de ces personnes, en témoigne la genèse du dispositif SALAM.
La santé, un enjeu vital
“SALAM a été créé fin 2021, avec d’autres associations, au moment où il y a eu un nombre important de personnes exilées en provenance d'Afghanistan”, indique Théo Gaglione, coordinateur du pôle exil à la délégation territoriale de Paris. Pour elles et tant d’autres populations en situation de migration, les besoins en termes de santé, d’orientation sociale et de rétablissement des liens familiaux sont forts.
Théo Gaglione explique que ce récent dispositif répond pleinement au principe d’inconditionnalité de l’aide et de l’accueil, inhérent à la Croix-Rouge. Pour lui, SALAM est un projet guidé par la vulnérabilité des personnes rencontrées, très souvent isolées sur le plan médical. “On est l'une des rares associations à intervenir en soirée, pratiquement tous les jours. Durant ces deux derniers mois, on a réalisé plus de 500 consultations médicales, ce qui montre l’ampleur des besoins”, ajoute-t-il.
Se faire soigner est une réelle difficulté pour les populations en migration, qu’elles soient en provenance d’Ukraine ou de pays plus lointains. Le rapport Les oubliés du droit d’asile le souligne d’ailleurs : “bien que l’accès aux soins soit prévu par la loi, l’enquête démontre qu’il constitue l’un des besoins prioritaires non couverts”.Assurer une assistance médicale bénévole comme SALAM apparaît alors vital pour tenter de pallier les dysfonctionnements d’accès à la santé.
Sur le terrain
Pour honorer sa mission, la camionnette se rend en centre d'hébergement d’urgence - dit “CHU”, où bon nombre de personnes venant d’Ukraine posent leur bagage pour quelques jours. Ce soir-là, Yellena, une femme blonde, a mal aux dents. A l’aide de Google translate, l’équipe de SALAM échange avec elle. Bien que rudimentaire, la conversation permet au médecin, Jean-Noël, d'orienter Yellena vers un dentiste dans les jours à venir. Car prendre soin, c’est aussi accompagner vers les bons spécialistes, nous explique le médecin, lui-même psychiatre.
Après le CHU, direction le quai de Valmy. Dans le Xème arrondissement de Paris, le contraste est saisissant : une guinguette estivale bat son plein à deux pas des lits de fortune, des duvets et des couvertures jonchant les pavés. “On vit dans un monde où il y a ceux qui font la fête et ceux qui dorment par terre”, lance fatalement Jean-Noël.
Nos volontaires sondent les hommes établis ici, afin de savoir qui aurait besoin de consulter un docteur. Nabil et Walid se manifestent, ils souffrent tous deux de douleurs au pied. L’ongle est incarné chez l’un, l’autre semble avoir une contusion. Younes, troisième homme de la soirée, est quant à lui dans un état plus critique. Il a 31 ans, est asthmatique, et ne prend aucun traitement. Sa respiration est très difficile, dégradée par l’humidité ambiante. La gêne est même audible, son souffle est enroué et sa toux persistante.
Mutualiser les forces
Younes est arrivé en France il y a un an, depuis l'Erythrée. Cela fait quelques semaines qu’il dort dans le “camp de Valmy”, sur les berges du canal Saint-Martin, aux côtés d’autres hommes, qui comme lui, ont quitté leur pays. S’il a pu effectuer une batterie d'examens dans un hôpital parisien la veille, Younes n’a pu obtenir les traitements pour apaiser son asthme, s’étant fait voler peu après son sac et ses papiers.
S’ajoute à cela une difficulté : le jeune homme ne parle pas français, et ne peut déchiffrer ses ordonnances prescrites, ni les résultats de ses examens. Sélim, traducteur bénévole, et Jean-Noël prennent alors le temps de décrypter en détail la liasse de papiers qu’il garde précieusement sur lui. Orienter, accompagner, rassurer, soigner : la force de SALAM réside bien là. Dans sa capacité à allier le médical et le social, addition indispensable pour les personnes isolées, présentes depuis peu sur le territoire ou ne parlant pas la langue.
S’adapter aux situations
“Les besoins auxquels on répond sont différents en fonction des personnes rencontrées, explique Théo Gaglione. Pour les personnes qui fuient l’Ukraine, on a beaucoup plus de ruptures de traitement, de besoins médicaux forts liés aux traumatismes psychiques. Pour les personnes originaires d’Afrique, d’Asie ou du Moyen-Orient, on a des besoins en santé bien sûr, mais aussi une forte demande en termes d’orientation sociale, d’accompagnement vers des structures administratives et de rétablissement des liens familiaux”.
Jean-Noël, 12 missions avec SALAM à son compteur, remarque de son côté que les personnes en situation d’exil souffrent généralement de problèmes de santé liés au voyage - périple effectué dans des conditions souvent très précaires et dangereuses. “Cela peut entraîner, par exemple, des arrêts de traitement, générer de l’anxiété. Cette anxiété débouche elle-même sur des somatisations, comme des soucis digestifs, de sommeil, etc.” L’exil étant déjà une épreuve en soi, la difficulté pour se faire soigner est ainsi, pour ces personnes, une énième violence.
* Les maraudeurs sont ici des travailleurs sociaux Croix-Rouge, qui effectuent des maraudes.
*Les oubliés du droit d’asile, est une enquête menée auprès de 700 personnes migrantes accueillies, entre le 1er le 15 juin 2021. 525 personnes ont répondu au questionnaire. Ce travail a été réalisé par les associations suivantes : le Cedre, Aurore, France Horizon, la Halte humanitaire (gérée par la fondation de l’Armée du Salut) et le Kiosque (géré conjointement par France-Terre d’Asile et Emmaüs solidarités).
La mission SALAM en chiffres
- 1325 Consultations médicales
- 500 Kits hygiène distribués
- 300 Appels internationaux émis
- 23 Médecins/infirmiers mobilisés