Face aux phénomènes cycloniques, on se prépare toute l’année
Publié le 10 juin 2025

Quelles sont les spécificités et vulnérabilités de la zone Amérique-Caraïbes ?
La principale particularité de la région, c’est sa multi-insularité. Il y a une multitude de petites îles parfois isolées et peu peuplées, réparties sur 3 zones : francophone, anglophone et hispanophone. Ce sont 3 mondes aux cultures différentes qui ne se connaissent pas forcément et ont leur propre modèle d’intervention en cas de crise. L’autre spécificité, c’est de cumuler à peu près tous les aléas, hors avalanches, en particulier les séismes et les systèmes cycloniques - tempêtes tropicales et ouragans. Ceux-ci sont classifiés de 1 à 5 selon leur degré d’intensité ; les ouragans dits majors étant de véritables monstres. Nous avons ainsi subi en juillet 2024 l’ouragan Béryl qui a frappé avec une violence inouïe la Martinique et le sud des Caraïbes. En 48 heures, l’ouragan a fait 7 morts et des destructions considérables. Carriacou, une île de la Grenade, a été rasée en 30 minutes ! Même si on ne peut rien prévoir d’avance, les experts prédisent une intensification de ces phénomènes. Selon l’université du Colorado, la puissance cumulée de la saison à venir est censée être sensiblement supérieure à la normale des années 1990-2020.
Comment vous préparez-vous à chaque saison cyclonique ?
On arrive maintenant à prévoir les systèmes cycloniques 7 jours à l’avance. Nos équipes disposent toutes des données du NHC (National Hurricane Center) et de Météo France. Des outils satellites permettent également de suivre en amont la trajectoire des tempêtes et ouragans, même si cette trajectoire est toujours aléatoire. Quoiqu’il en soit, on ne se prépare pas la veille d’une saison cyclonique, l’idée c’est de se préparer tout au long de l’année.
Cela passe d’abord par la formation des équipes de la PIRAC et des volontaires des Croix-Rouge caribéennes et de la Croix-Rouge française sur tous les métiers, en lien avec nos différentes activités - logistique, production d’eau potable en urgence, évaluation, opérations de distributions, utilisation du matériel, montage d’un centre d’hébergement d’urgence ou d’un centre d’accueil des impliqués pour le sol français, etc.
Par ailleurs, la PIRAC dispose d’entrepôts de stockage de matériels d’urgence disséminés sur un maximum d’îles. En 5 ans, nous avons installé 14 entrepôts sous forme de conteneurs fixés au sol. En outre, nous allons ouvrir cet été un nouvel entrepôt régional humanitaire en Guadeloupe qui va nous permettre de quadrupler notre capacité de stockage, soit 4 000 kits famille (composés de bâches pour recouvrir les maisons, kits cuisine, kits hygiène, seaux, kits outils de bricolage, etc). L’expérience de Béryl nous a montré la nécessité de disposer de davantage de matériel. Lors de cette catastrophe, nous avions en effet utilisé la quasi-totalité de nos stocks alors que la saison cyclonique débutait tout juste.
Quel type de matériels utilisez-vous ?
Les besoins ne sont pas les mêmes d’une zone à l’autre. Sur les îles françaises, nous mettons surtout à disposition des équipements nécessaires pour des centre d'hébergement d’urgence ou des centres d'accueil des impliqués. Dans les îles caribéennes, la logique d’intervention est davantage orientée vers de la distribution de bien de premières nécessités aux personnes impactées tels que des kits hygiène, abri ou cuisine, des bâches, des moustiquaires, des lampes solaires…
Nous avons par ailleurs des stocks régionaux que l’on peut déployer en coopération avec nos partenaires régionaux, tels que l’armée française, la préfecture de zone en Martinique, les Nations Unies, la FICR ou les autorités locales. L’objectif, c’est d’intervenir le plus rapidement et le plus en proximité possible.
Comment faites-vous sachant que les îles sont parfois très éloignées les unes des autres et dépendent d’autorités différentes ?
Notre grande force c’est notre réseau Croix-Rouge. On peut intervenir partout et rapidement grâce à notre maillage exceptionnel. Nous échangeons beaucoup entre acteurs du Mouvement Croix-Rouge et Croissant-Rouge. Ce dernier joue un rôle essentiel dans la réponse aux crises. Mais, c’est vrai, il y a un gros enjeu de coopération entre tous les acteurs de la région et la PIRAC permet justement de créer du lien entre tous : avec nos partenaires régionaux tels que les Nations unies, le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Organisation internationale pour l’immigration (OIM), l’UNICEF, etc. ; avec les agences régionales étatiques, en premier lieu l’agence de réponse aux catastrophes des Etats de la Caraïbe orientale (CDEMA) qui pilote la réponse sur les grosses opérations. Nous avons des programmes communs avec tous ces acteurs, donc on se connaît bien et c’est ce qui nous permet d’être prêts. Nous avons également des procédures standardisées avec les forces armées, ce qui facilite les déploiements d’aide humanitaire lors de crises majeures.
Impliquez-vous aussi les populations ?
Bien sûr, avec l’appui des Croix-Rouge locales qui interviennent auprès du grand public. La sensibilisation constitue en effet un volet important de nos activités. Nous lançons notamment une grande campagne de communication sur les réseaux sociaux pour préparer la population à la saison cyclonique. Nous menons par ailleurs des programmes de prévention dans les écoles, tels que le programme Paré pa Paré en Guadeloupe ou Fok Nou Paré en Martinique, à travers des outils ludiques et pédagogiques. Sensibiliser les enfants est un excellent vecteur de prévention auprès des adultes. Car rappelons-le, le premier niveau de préparation est individuel, car on le sait, il y a toujours un temps de latence avant l’arrivée des secours. Il faut donc que les gens connaissent et adoptent les bons comportements pour limiter les risques. Alors oui, la sensibilisation est essentielle.
La Croix-Rouge dispose de 2 autres plateformes comme la PIRAC – le PIROI Center dans l’océan Indien et la PIROPS dans le Pacifique sud. Comment coopérez-vous ?
Nous faisons des retours d’expérience systématiquement après chaque crise. Nous échangeons beaucoup sur nos pratiques, sur ce qui a marché ou pas, sur ce qui nous a manqué ou ce qui a été utile… Grâce à ce partage d’expérience, on apprend beaucoup les uns des autres et ça nous permet d’améliorer nos capacités d’intervention.
Nous mettons également en commun ces expertises au sein d’un programme intitulé « 3 océans, soutenu par l’Agence française du développement (AFD) qui partage notre vision d’une action de proximité et sur la résilience des territoires. Nous sommes considérés comme un acteur de référence en matière de gestion des catastrophes et d’adaptation au changement climatique dont les signes sont déjà visibles : les coraux blanchissent et meurent, alors qu’ils protègent les côtes en cas de grosses vagues ou de tsunami ; idem pour les mangroves. A Petit-Bourg en Guadeloupe, des habitants ont dû être délogés car la côte recule. Ces conséquences sont à prendre en compte, d’autant plus qu’elles impactent des territoires fragiles. Ces vulnérabilités cumulées font de nous un laboratoire pour l’Europe car les aléas climatiques que nous connaissons risquent de se produire de plus en plus sur le continent. La Croix-Rouge française a d’ailleurs la volonté de créer des hubs de la résilience en métropole, se basant entre autres sur l'expérience des plateformes d’intervention régionales. Ce n’est pas un hasard.
Projet 3 Océans
renforcer la résilience des populations et des territoires dans trois bassins océaniques
Le projet "3 Océans" vise à renforcer les capacités de préparation et de réponse à l’urgence des territoires insulaires de l’océan Indien, du Pacifique Sud et des Caraïbes en développant des actions focalisées autour des étapes du cycle de la gestion des risques de catastrophes (anticipation, préparation, prévention, réponse à l’urgence et réhabilitation). Il est mis en œuvre par les Plateformes d’intervention régionales de la Croix-Rouge française en Guadeloupe, à La Réunion (depuis 2019) et en Nouvelle-Calédonie (depuis 2024), avec le soutien de l’Agence française de développement .
A travers ce projet, la Croix-Rouge française et ses partenaires se mobilisent pour atténuer l’impact des catastrophes, des crises sanitaires et du changement climatique sur les populations des petits États insulaires en développement (PEID). La 3ème phase du projet (2024-2026) met l'accent sur les enjeux environnementaux et l'égalité femmes-hommes dans la gestion des risques de catastrophes. Elle vise à bénéficier indirectement à une population estimée à dix millions de personnes.
Je découvre le dossier sur le projet 3 océans