Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido est venu frapper Mayotte de plein fouet. L’île a été rasée, ses habitations précaires pulvérisées, ses habitants sidérés et profondément meurtris. Ici, on n’avait pas connu de phénomène aussi violent depuis 90 ans. Les équipes de la Croix-Rouge ont été impactées elles aussi et en première ligne des secours. Aujourd’hui, elles se relèvent et sont plus déterminées que jamais. Nous avons recueilli sur place le témoignage de Kadafi Attoumani, directeur territorial.

Six mois après ce terrible 14 décembre, Chido est-il toujours dans les esprits ?

Vous savez, il faut du temps pour se remettre d’un tel choc. Il n’y a pas un volontaire qui ait été épargné par le cyclone, matériellement et, surtout, psychologiquement. Certains ont tout perdu en deux heures, des proches, leur maison... Nous avons tous eu très peur. Les vents soufflaient autour de 220 km/h avec des pics à 260 km/h. Les infrastructures n’étaient pas faites pour résister à un tel phénomène. On voyait les toits en tôle s’envoler, les bidonvilles s’effondrer sous nos yeux. Même nos bureaux, qui sont pourtant construits selon les normes anti-cyclones, ont souffert. Mais malgré la sidération, nos équipes étaient sur le terrain dès les heures qui ont suivi. 

Les activités de lutte contre la malnutrition infantile, les services de soins à domicile, les soins à la population… ont repris immédiatement. On ne pouvait pas laisser tomber les gens. On a bénéficié d’un grand élan de solidarité, qui continue d’ailleurs. On a reçu le soutien de 120 bénévoles d’un jour - infirmiers, médecins, aides-soignants… - dans l’urgence, et bien sûr de la Plateforme d’intervention régionale de l’océan Indien (PIROI) depuis La Réunion qui a acheminé des centaines de tonnes d’aide ainsi que des nombreux volontaires venus en renfort de l’hexagone et de l’île de La Réunion. Jusqu’à fin mars, la mobilisation est restée intense. Nous avons répondu à cette crise de façon collective et cette réponse a été efficace.

Comment vont les équipes aujourd’hui ?

Je crois que les volontaires n’ont jamais été aussi motivés qu’aujourd’hui pour relever l’île et sa population. Les équipes mobiles ont été renforcées, elles font même des journées plus longues pour répondre aux besoins, apporter de l’eau, des soins... Les équipes mobiles Santé Précarité (EMSP) sont désormais au nombre de six, au lieu d’une avant Chido. Les équipes Eau, hygiène, assainissement (EHA) ont également développé de nouvelles expertises et sont complètement autonomes. Elles produisent de l’eau potable à présent grâce au transfert de compétences réalisé par les équipiers de réponse aux urgences (ERU) déployés après Chido. Cela fait partie des choses positives de cette crise.

La Croix-Rouge est en train de se reconstruire, se re-dynamiser avec le soutien de renforts nationaux pour mettre en œuvre de nouveaux projets. Tout cela va dans le bon sens.

Un plan post-urgence a été défini pour vous aider à vous renforcer. Quels sont les priorités/objectifs du plan « Mayotte 2030 » ?

Ce plan repose sur un triptyque : sécurité, attractivité et réponse aux crises.

Nous avons tout d’abord un fort enjeu de sécurité qui nécessite de mettre en place une organisation spécifique. D’une part, nous devons prendre soin de nos équipes, de leur épanouissement dans leurs missions, d’autre part, nous assurer qu’elles interviennent dans de bonnes conditions. Car il y a une forte problématique d’insécurité sur le territoire. Il est indispensable de s’interroger en permanence sur le lieu où l’on va intervenir, d’évaluer systématiquement le niveau de risque sur chaque intervention.

Le deuxième enjeu concerne l’attractivité et le recrutement de volontaires - salariés et bénévoles - en vue de lancer de nouvelles activités. Nous avons besoin d’infirmiers, de personnels de soin, principalement. Nous devons aussi remobiliser les bénévoles pour qu’ils soient davantage à la manœuvre sur le terrain, en première ligne.

Enfin, nous avons l’obligation de répondre aux crises actuelles et à venir. Les projets les plus emblématiques sont la réfection de l’entrepôt de la PIROI sur Petite-Terre qui a été soufflé par Chido et l’ouverture d’un second lieu de stockage de matériel d’urgence en Grande-Terre, au centre de l’île, qui permette également de répondre à des besoins quotidiens (stocker de l’aide alimentaire, par exemple) et soit un lieu de formation. Il est en effet indispensable d’avoir des équipes formées et des moyens suffisants pour faire face à la permanence des crises sur le territoire.

Nous souhaitons par ailleurs pérenniser le dispositif EMSP, transformer les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) en services autonomie à domicile (SAD) afin de disposer de plus de moyens (en lien avec la réforme du financement), et puis, nous avons un projet emblématique, celui d’ouvrir un institut de formation aux soins infirmiers (IFSI). Il en existe déjà un au sein de l’hôpital, doté de 95 places. Le Département de Mayotte et l’Agence régionale de santé nous ont sollicité pour créer ce deuxième centre qui devrait voir le jour en septembre 2026 à Combani. Une première promotion de 20 élèves sera formée à l’IFSI de Nîmes, le temps de finaliser les travaux. Elle poursuivra son cursus à Mayotte la 2ème année dans ce nouvel IFSI qui sera mutualisé avec d’autres instituts de formation.

Parallèlement, nous souhaitons augmenter nos dispositifs d’aide alimentaire car les besoins sont vraiment importants à Mayotte. Une réflexion est menée également sur l’évolution du Samu social, l’activité RLF, l’accès aux droits… et la création d’un Espace bébé parents.

En résumé, Chido nous oblige à repenser notre organisation, à imaginer des activités ou à les renforcer. Il s’agit aussi pour nous de montrer que nous sommes bien une Croix-Rouge pour tous.

Quelles sont les principales vulnérabilités auxquelles vous êtes confrontés ?

Mayotte est en crise permanente : crises sanitaires – le chikungunya en ce moment et avant cela le choléra -, crises de l’eau, risques de tsunami, de séisme, de cyclones… C’est une zone extrêmement vulnérable ! Et la précarité de la population renforce évidemment les conséquences dramatiques des crises. On vit aussi le changement climatique qui se traduit par des problèmes de stress hydrique – l’eau reste la problématique numéro un – , la montée des eaux, la chaleur de plus en plus intense… Il est donc essentiel de sensibiliser la population aux gestes qui sauvent et aux bonnes pratiques en cas d’urgence, lui inculquer cette culture du risque indispensable. Pour sensibiliser les jeunes, nous allons essayer de reprendre le projet Maoré dzi pangué (trad. Mayotte, tiens-toi prêt !) dans les établissements scolaires, l’équivalent du programme “Paré pa Paré” à La Réunion.

Comment imaginez-vous la Croix-Rouge de demain à Mayotte ?

Je suis serein. Notre organisation est en place, on ne part pas de zéro. On tire les leçons de Chido en offrant au territoire, à la population, à la Croix-Rouge française les moyens de répondre aux prochaines crises. Et on va tout mettre en œuvre pour y parvenir. Il y a un proverbe mahorais qui dit : « Là où il y a la vague, il y a une porte ». Autrement dit, c’est dans la difficulté que la solution se trouve. On fait nôtre ce proverbe. Oui, Chido a été un désastre. Mais c’est aussi l’opportunité de nous relever, d’aller beaucoup plus loin, d’en sortir plus forts.

Photos Guillaume Binet/MYOP

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