Dans les premières heures qui ont suivi le passage du cyclone Chido le 14 décembre dernier, nos équipes pourtant fortement touchées ont été dans les premières à venir en aide à la population de l'archipel. Distribution d'eau, soins : rencontre avec Kadafi Attoumani, notre directeur territorial à Mayotte.

Le 14 décembre, le cyclone Chido a violemment frappé Mayotte. Comment avez-vous vécu cette journée  ?

Kadafi Attoumani : Ce jour là, nous savions tous que le cyclone arrivait à grands pas. J'ai quitté ma maison le matin même en disant à mon épouse que j'allais devoir dormir au siège de la Croix-Rouge. Dans l'urgence, on devait préparer les interventions des équipes, en fonction de l'impact du cyclone sur le territoire. J'ai fait partir nos collaborateurs tôt dans la journée et suis resté avec mes trois collègues nationaux, déjà présents à Mayotte. Deux sont venus du siège, et un de la Réunion. Un autre de nos collègues logisticien est resté en Petite Terre, où se situe l'aéroport, pour gérer la Plateforme d'intervention régionale. D'heure en heure, nous avons suivi en temps réel l'avancée du cyclone. Le bâtiment a été un peu écorné, quelques tôles ont volé, mais c'est vraiment trois fois rien par rapport à ce qui se passait autour de nous. En revanche, deux jours après le passage de Chido et sans nouvelles de ma famille, je suis allé retrouver ma maison : la toiture était partie et ma compagne a du gérer seule cette situation. Il a fallu être sur les deux fronts, vider la maison, en chercher une autre... Mais la Croix-Rouge était attendue, donc il fallait également gérer les équipes et les mettre en route.

Qu'avez-vous mis en place en amont du cyclone ?

Kadafi Attoumani : Evidemment, on anticipe la situation. Il faut en priorité protéger nos équipes et nos bâtiments, mais il faut aussi préparer notre retour sur le terrain et la reprise de nos missions. Là, on a briefé tout le monde. Chacun avait un rôle bien précis. Dès les premières heures, on a eu à cœur de faire repartir les activités les plus sensibles, à savoir le soin infirmier à domicile et la lutte contre la malnutrition infantile. Dans ces moments là, on se doit de repartir rapidement sur le terrain, au risque de voir les situations sanitaires s'aggraver pour les personnes que l'on accompagne au quotidien.

Comment intervient-on dans ces situations d'urgence ? 

Kadafi Attoumani : D'abord, nous évaluons les risques. Ensuite, nous intervenons soit en mode « dégradé », soit en mode « très dégradé ». Je m'explique. En mode dégradé, on demande à la famille du patient d'être attentive avant qu'on arrive pour prodiguer le soin. En mode très dégradé, dans le cas où nous ne pouvons pas intervenir durant plusieurs jours, nous nous mettons d'accord avec la famille sur la manière de faire. On laisse en amont un certain nombre de produits sur place, pour que les proches puissent faire une partie des actes et des gestes, dans la limite du possible bien sûr. 

Nous sommes à Mayotte depuis 1998, quelles étaient les missions avant le passage de Chido ?

Kadafi Attoumani : La première : répondre à l'urgence sociale sur le territoire. C'est à dire être au plus près des personnes en grande précarité et leur apporter le nécessaire. La seconde, c'est la prévention spécialisée, tournée vers les plus jeunes et les quartiers difficiles. Faire en sorte de les accompagner dans leurs parcours de vie, afin d'éviter qu'ils glissent vers la délinquance. La troisième, c'est la prévention en santé. Le système médical est extrêmement fragile sur l'île alors notre objectif est que chacun et chacune puisse prendre en main sa propre santé, afin d'éviter d’atterrir à l'hôpital. Et le soin infirmier à domicile, c'est la quatrième de nos missions. Entre toutes celles-ci, il y en a une un peu transverse : l'accès au logement pour les personnes les plus vulnérables. Ici, c'est nous qui gérons le 115 et la plateforme d'hébergement d'urgence.

Qu'est-ce que le passage du cyclone Chido a changé dans l'organisation de ces missions ?

Kadafi Attoumani : Dès le lendemain du passage du cyclone, on était tous et toutes sur le pont. Certaines missions n'ont donc pas changé, comme le service de soins à domicile. L'accompagnement s'est fait en fonction des conditions d'accès aux personnes sur le territoire car les routes n'étaient pas toutes praticables. Pour la mission d'aide alimentaire on avait un certain stock mais en quelques heures, nous avons été dépassés face à l'ampleur des besoins. Heureusement, l'Etat a pris la main, avec ses moyens aériens et maritimes, ses stocks et sa logistique, au moins dans les premiers jours.

Comment avez-vous remis la machine en route ? 

Kadafi Attoumani : Nous sommes dans une situation où nos 151 collaborateurs, sur place, ont été eux-mêmes victimes du cyclone. Je ne connais pas une personne qui n'a pas subi les conséquences du passage de Chido. Donc c'est délicat de demander à tout le monde d'être efficace dans les premières 24H. Là, tout le monde l'a été. Mais nos infrastructures ont également été touchées. L'entrepôt de Pamandzi, près de l'aéroport, a été complètement soufflé par les rafales de vent et très vite le matériel qui y étaient entreposé s'est volatilisé. Et pas mal de nos véhicules ont été abimés. Les conditions étaient quand même réunies pour que ce soit compliqué ! On a donc fait venir du renfort humain pour évaluer les besoins et bien évidemment du renfort matériel. 

Comment ce renfort est-il arrivé ?

Kadafi Attoumani : Aujourd'hui, environ trois-cent personnes avec les renforts apportent au quotidien le nécessaire aux sinistrés de Chido. Entre la Réunion et la métropole, un pont aérien a été mis en place en excellente coordination avec les services de l'Etat, armée, sécurité civile... Par bateau et par les voies aériennes, nous avons pu acheminer rapidement ce dont nous avions besoin, notamment grâce à la Plateforme d'intervention régionale de l'Océan indien (PIROI). Cette plateforme est là pour venir en appui à nos équipes des pays qui en ont besoin, Comores, Seychelles, Madagascar, Mozambique, Tanzanie, entre autres. La PIROI nous a apporté beaucoup d'informations. En lien avec de nombreux services météorologiques dans le monde, elle a une vision globale de la situation et nous a permis de nous préparer au mieux. Ironie du sort, quelques jours avant le cyclone, nous faisions un exercice de préparation avec leurs équipes, sans savoir qu'un cyclone était à l'approche ! 

Quels étaient sur place les besoins d'urgence ? 

Kadafi Attoumani :En premier lieu, on a vite envoyé une équipe pour installer des unités de traitement d'eau pour permettre aux populations de consommer une eau potable. Cette équipe d'assainissement est allée à des endroits où les gens étaient coupés de tout accès à l'eau et les machines filtrent environ mille litre à l'heure, ça n'est pas rien ! Nous étions très attendus par les habitants. Pour l'équipe mobile santé et précarité, nous allons d'ordinaire au contact des personnes qui vivent à la rue, en centre d'hébergement ou dans des habitats en tôle. On y fait des petits soins, de la « bobologie », et on redirige vers l'hôpital pour les cas les plus graves. Mais au lendemain du cyclone, on est passé à un autre niveau. L'équipe de trois personnes s'est transformée en cinq équipes de trois à cinq personnes. Énormément d'habitants des bidonvilles, présentaient des blessures par tôles, des blessures par clous. Rien qu'avant-hier, nous avons soigné 272 personnes sur l'île. 

Dans l'Hexagone la mobilisation a été forte, comment avez-vous ressenti cette solidarité sur place ?

Kadafi Attoumani : Je suivais ce soutien de près et au-delà des montants, c'était fort de savoir que la communauté nationale n'oubliait pas Mayotte. Quand les moyens arrivent, nous sommes souvent concentrés sur l'immédiat, mais on peut également penser à l'après. L'état d'esprit n'est pas le même. Là, on peut commencer à se projeter sur l'après. Même localement, beaucoup de médecins ou d'infirmiers nous ont appelé dans les premières heures pour nous donner un coup de main.

Texte : Louis Witter / Photos : Marie Magnin

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